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Marie-Maure Fréchet © Valérie Lhomme

Tout ce qui fait le sel de la frite : entretien avec Marie-Laure Fréchet, autrice de Ma frite adorée

Pour Ma frite adorée, paru chez Marabout, Marie-Laure Fréchet s’est lancée dans un road frite à travers Paris, Lille et Bruxelles. Dans son ouvrage, la journaliste et autrice culinaire décortique la frite pour en livrer tous les secrets. Mode d’emploi, guide gastronomique et culturel, recettes emblématiques… Tout ce qui fait le sel de la frite est dans ce livre. Entretien.

SUD VIBES : Marie-Laure Fréchet, d’où vous vient cet amour pour les frites ?

Marie-Laure Fréchet : Je viens du nord de la France. J’y suis née, j’y ai fait mes études. Je ne l’ai quasiment pas quitté. Et quand je suis devenue journaliste, j’ai redécouvert un patrimoine culinaire qui était complètement inconnu du reste de la France. Je ne sais pas si vous vous souvenez du film Bienvenue chez les Ch’tis, qui enterrait un peu le Nord-Pas-de-Calais (à l’époque ce n’étaient pas Les Hauts-de-France) et en faisait cette région un peu lourdingue où, pour le coup, on mangeait des frites, mais plutôt pour s’en moquer. Je me suis dit, non ! C’est un vrai territoire, avec une vraie culture culinaire, des traditions… Donc j’ai commencé à me battre pour faire émerger des sujets dans les magazines nationaux. Je me suis un peu imposée comme la lobbyiste de la cuisine des Hauts-de-France, et chemin faisant, forcément, j’ai croisé celui de la frite.

Ce que j’aime aussi dans la frite, en dehors du fait que ce soit un patrimoine culinaire et que ce soit très bon, et c’est aussi par rapport à ma région, ce sont les baraques à frites. Ces lieux qui sont un peu comme des petits théâtres, que j’appelle des chapelles païennes, où les gens se serrent quand il fait un peu froid. Esthétiquement, il y a un truc qui se passe. C’est chaleureux, c’est lumineux, souvent un petit peu kitsch aussi. C’est un lieu très joli à regarder et à commenter.

SV : La baraque à frite est-elle le meilleur endroit pour déguster des frites ?

MLF : Le livre raconte que, finalement, il y a pleins d’endroits pour manger des frites. Dans une brasserie parisienne, au bord de la mer, à la maison aussi… Dans Ma frite adorée, une petite dame nous fait de très belles frites à la maison.

SV : Vous faites aussi le point sur l’origine de la frite.

MLF : Maintenant ça y est, français et belges s’accordent à dire que la frite est plutôt née en France. Après la Révolution française, la pomme de terre a eu beaucoup de mal à s’imposer en France. On s’en méfiait beaucoup. En fait, à l’époque, on ne savait pas la manger. On la cuisinait plutôt sous la cendre, un peu comme des marrons. Ça devenait un truc pas très bon. Parmentier, qui n’a pas découvert la pomme de terre, mais en a fait sa promotion, a écrit un livre de recettes et il se trouve que, l’une des très bonnes façons d’améliorer la pomme de terre, c’était de la frire. On retrouve donc à la fin du 17ᵉ siècle, des vendeuses de rue sur les quais de Seine qui vendent des rondelles de pommes de terre. Plutôt comme des beignets en fait.

Ce qui va se passer, c’est que Jean-Frédéric Krieger, un forain bavarois venu à Paris pour apprendre à cuisiner, découvre ces pommes de terre frites et trouve ça génial. Puis repart en Belgique rejoindre sa famille et se met, dans les foires, à cuisiner des pommes de terre frites. Et là, c’est un grand succès parce qu’à l’époque en Belgique, il y avait beaucoup de foires. Il va développer son business et va même inventer le concept de baraque à frites. Au début, c’est une sorte de petite cabane avec des toiles de tente, mais ça va devenir plus cossu, avec des parois en bois peintes et décorées, comme une sorte de petit salon de la frite.

Il aurait aussi inventé l’idée de découper les pommes de terre en bâtonnés pour des raisons pratiques, parce que ça cuit plus vite, et mieux… Krieger, qui se faisait appeler Monsieur Fritz, a fait fortune, bien qu’il soit mort à une quarantaine d’années. Au début du 20ᵉ siècle, il y avait encore, une friterie Fritz en Belgique. La frite a ensuite continué son chemin. D’un côté, cette frite un peu populaire et street food en Belgique, quant, à Paris, elle s’est plutôt embourgeoisée. Dans les brasseries, on trouve donc des pommes frites, comme on les appelait à l’époque, qui deviennent l’accompagnement des grands plats.

SV : Votre livre est aussi un guide de bonnes adresses pour manger des frites à Paris, Lille et Bruxelles… Parmi toutes les frites que vous avez englouties pendant ce que vous appelez un road frites, lesquelles vous ont laissé le meilleur souvenir ?

MLF : C’est difficile à dire. Je dis souvent que la première frite est un peu comme La première gorgée de bière, le livre de Philippe Delerm. La meilleure est la toute première. Quand elle arrive, qu’elle est encore bien chaude, bien croustillante, qu’on s’y brûle les doigts et le palais. Dans tous ces lieux, quand la frite est bien faite, on s’en régale tout simplement.

SV : Où mange-t-on le plus de frites, en France ou en Belgique ?

MLF : Clairement en Belgique, où il y a plus de 4000 friteries. Et puis la culture de la frite y est vraiment reconnue officiellement. Il y a même un syndicat de ce qu’ils appellent les friteristes, qui sont les marchands de frites. En Belgique, c’est une institution. Ici en France, évidemment, tout le monde mange des frites, mais le concept de baraque à frites est ici cantonné dans les Hauts-de-France, même si maintenant quelques nordistes et belges vont s’implanter ailleurs. Il y a après, la frite de bistro, la frite parisienne telle qu’elle a toujours été.

SV : Vous consacrez un chapitre de votre livre aux condiments qui accompagnent les frites. Quel est celui qui se marie le mieux avec ce plat ?

MLF : Le sel d’abord. Une frite doit être bien salée. Ensuite, la base, c’est la mayonnaise. Même si c’est gras sur gras, ça fonctionne très bien. Après, on peut se faire plaisir avec toutes ces sauces pseudo exotiques — puisqu’elles ont été inventées en Belgique. La Samouraï par exemple. Mais ces sauces-là, on peut aussi les redécouvrir. C’est pour ça que je donne des recettes dans le livre. On peut aussi les refaire à la maison, sans tous les conservateurs des sauces industrielles… Et puis, en fait, la frite marche aussi très bien avec du fromage, dont, par exemple, la sauce maroilles ou cheddar.

SV : Les potatoes sont-elles des frites ?

MLF : Si vous faites des potatoes et que vous les passez dans une friteuse, on peut considérer que c’est une pomme de terre frite.  Si vous me parlez des potatoes surgelées et pré-frites en usine qu’on met au four, qu’on sort d’un sachet ou qu’on met dans un air fyer, je dirais non. Dans un air fryer, on ne frit pas, on rôtit. Un air fryer, c’est un mini four en fait. Or une frite, par définition, doit être frite, c’est-à-dire passée dans un bain de friture. Donc, je n’ai rien contre les potatoes, mais pour moi ce ne sont pas de vraies frites.

SV : Pouvez-vous me parler du championnat du monde de la frite à Arras ?

MLF : C’est un championnat qui fête cette année sa troisième édition. C’est une véritable compétition, comme une compétition sportive. Ou top chef, si vous voulez. Elle a lieu sur deux grandes scènes devant un public dans le cadre magnifique de la Grand’Place d’Arras. Les candidats s’affrontent dans différentes catégories, la principale étant la frite authentique, la frite des friteries franco-belges, qui est ouverte aux professionnels *. On a l’équivalent pour les amateurs, la frite familiale. Même principe, mais c’est la frite qu’on fait à la maison.

On a une catégorie qui s’appelle la frite du monde, donc là, c’est toutes les frites qui sont plutôt des frites plats, comme on peut les manger ailleurs. Ça peut être le fish and chips, la poutine… Des frites qui, finalement, vont exprimer un territoire ou un autre pays. On a aussi une autre catégorie qui s’appelle la frite créative, obligatoirement à base de pommes de terre frites, mais avec lesquelles on peut en faire tout ce qu’on veut. L’année dernière, on a eu une glace à la frite, par exemple. Et puis on a une catégorie qui est ouverte aux cuisiniers et qui est en fait la sauce frite, où il faut faire une sauce froide et une sauce chaude.

(*) À l’heure où nous publions, le Néerlandais Siem Burggen a remporté le prix de la frite authentique de la 3e édition du Championnat du monde de la frite samedi 27 septembre à Arras. 

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Marie-Laure Fréchet © Renaud Walliez

Marie-Laure Fréchet

Journaliste et défenseuse du patrimoine culinaire nordiste, Marie-Laure Fréchet est l’autrice du Grand livre des patates, de L’encyclopédie de l’alimentation durable, ou encore d’Estaminets. Elle est aussi créatrice et présidente du festival Mange, Lille ! et membre de la Confrérie de la frite fraiche maison – Arras.

Marie-Laure Fréchet est l’une des invités du festival Saveurs et Savoirs à Uzès. Elle sera au Petit Amphithéâtre de la Librairie de la Place aux herbes le 11 octobre à 12h pour une rencontre autour de son livre, Ma frite adorée, animée par Charles Patin O’Coohoon.

 

 

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Ma frite adorée, éd. Marabout

Le guide indispensable des amateurs de frites 

« Des brasseries parisiennes aux fritkots belges en passant par les estaminets, les routiers ou encore les restaurants de bord de mer, embarquez pour un voyage gastronomique et culturel autour de la frite, entre Paris, Lille et Bruxelles. Découvrez tous les secrets d’une bonne frite (choix de la pomme de terre, techniques de découpe et de cuisson) et apprenez à réaliser les recettes et les sauces emblématiques qui ont participé à leur succès : tartare, burger, moules, welsh, kebab, fricadelle, poulet rôti, croquettes de crevettes… »

Paru le 3 septembre, éditions Marabout.